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D comme conditions de DÉTENTION à la prison de Blois en 1832


La série Y, que l'on ne consultera la plupart du temps que si l'on a des ancêtres qui sont passés par la case « prison » car elle concerne les établissements pénitentiaires, regorge d'anecdotes intéressantes.


La plus intéressante, selon moi, concerne les conditions de détention des prévenus à la prison de Blois en 1832. Une lettre fort instructive, écrite par un certain J. Duplan, avocat de cour à Paris, décrit en détail sa visite à la prison le 12 octobre 1832. Je me fais un plaisir de la retranscrire ici (la lettre est reproduite plus bas) :

« Monsieur le Préfet,


Muni de la permission de Monsieur le Maire de cette ville, permission que j'ai due à votre obligeance, je me suis transporté, le 12 de ce mois, dans la maison de détention de Blois. Je l'ai parcourue dans son ensemble et dans ses détails, j'y ai puisé des renseignemens (sic), j'y ai fait des observations que je vous transmets et que je soumets à votre amour de l’humanité et d'une bonne administration.


Parvenu d'abord dans le quartier des détenus politiques, j'ai remarqué avec plaisir l'ordre et la propreté de cette partie de la maison, surtout dans la portion des chambres à gauche en entrant. Il serait à désirer que les fenêtres des chambres de la droite fussent plus grandes.Cependant, ici même, l'air m'y a paru bien sain. Dans ce quartier, les détenus que j'ai interpellés ne m'ont fait part d'aucune plainte ; seulement, un d'eux, M. l'Abbé Biré m'a manifesté le désagrément que ferait éprouver à lui et et à ses compagnons la visite brusque et bruyante du concierge venant, chaque soir à minuit, les visiter dans leur chambre et les réveiller au bruit des verrous et des clefs. Cette partie du service m'a parue utile et nécessaire ; mais comme j'ai promis à M. Biré d'accueillir sa réclamation et de vous la transmettre, j'accomplis ce devoir purement et simplement.


Distribution de vivres. Cette portion du service m'a paru défectueuse et faite pour émouvoir votre attention. On distribue du pain sec le matin ; à midi la soupe (les jours maigres), ou bien le bouillon et ¼ de bœuf (les jours gras). Depuis midi jusqu'au lendemain, on ne donne plus rien.Cela ne paraît pas suffisant, surtout pour des hommes robustes, des jeunes gens, moins encore pour des enfants qui détruisent ce qu'ils ne savent conserver quand leur faim est apaisée. Il en était de même à Paris, en 1829 ; sur un mémoire présenté par moi au préfet de police, les vivres furent répartis ainsi : à dix heures, le pain et la soupe (les jours maigres), et à quatre du soir, des légumes, haricots & c.°° (et compagnie ?), et les jours gras, savoir : à dix heures, le pain, le bouillon et ¼ de viande ; le soir, des légumes. Ils avaient de plus la permission d'aborder la cantine selon leurs moyens pécuniaires.


Vous avez ici, je dois l'avouer, une amélioration dans le système pénitentiaire, c'est que vous donnez une ration de vin détrempé dans ¾ d'eau.


Dans les diverses parties de la maison, j’ai remarqué, et je m'empresse de vous le signaler, que les urinoirs étaient simplement des baquets en bois. Ce bois pourrit de suite, répand une odeur fétide et nuisible : il paraîtrait urgent de les remplacer par des urinoirs de fer-blanc, ou autre métal : les environs étant clôturés. Ce fait est surtout remarquable dans la cour dite des prévenus.


Le pavillon de la prévention (hommes. aussi dans le quartier femmes) a excité ma pitié. De la paille, simplement, et une couverture... telle est la couche des malheureux prisonniers ! Quand on considère le petit nombre des détenus (80), sur lesquels il en est ¼ qui peuvent se soulager eux-mêmes, on se demande si la ville ne pourrait pas donner un bois de lit, une paillasse et un matelas. Cet état de choses m'a rappelé les hideuses maisons de Nantes...


J'ai vu des hommes occupés à la pompe. On m'a dit : chaque détenu doit pomper de l'eau, ou bien donner un sou pour s'en dispenser. Celui qui n'a ni un sou, ni une bonne santé... Il suffit de signaler ce fait pour qu'il n'existe plus, car il rappelle trop la barbarie des mineurs et des chefs de carrières romaines.


La morale ne permet pas que les enfants soient confondus avec des hommes. La prison est l'école du vice qui enfante les crimes. Aussi la vénérable sœur de la maison supplie-t-elle pour la prompte séparation des enfants d'avec des êtres plus ou moins corrompus.


Il y a 3 cachots et 3 lits de camp. Les matelas sont plus étroits que les lits. Il est aisé de remédier à cet inconvénient.


Je dois ici déclarer que j'ai vu peu de maisons où la lingerie, quartier des sœurs, la cuisine et les attenants, fussent aussi bien en ordre qu'ici. Il y a peu de lingerie, mais ce n'est qu'un manque momentané : les sœurs réclament quelque chose...


Les militaires passant se plaignent de ne pas recevoir de pain blanc comme les autres détenus. Ce mode, qui est d'ailleurs inusité (?), disent-ils, donne lieu à des scènes souvent affligeantes . Ensuite, on ne leur fait la distribution de vivres qu'au moment de leur départ ; on leur donne la soupe, et comme ils partent d'ordinaire d'assez bon matin, ils prétendent n'avoir pas faim à cette heure-là.


J'arrive à un objet tant de droit, d'humanité et de mœurs : je veux parler d'une classe de citoyens honorables quoique malheureux, ce sont les dettiers. 1°/ Ils réclament la permission de voir leurs familles, leurs amis ; ils ne peuvent les voir qu'une fois par semaine, et il en est même un dont l'épouse n'a pu obtenir cette faveur, m'a-t-il dit. Si ce fait est exact, il est inexplicable tant il est injuste et inhumain. A Paris, chaque dettier reçoit dans sa chambre, sa famille et ses amis chaque jour. 2°/ On ne permet pas, non plus, qu'ils reçoivent des vivres de leur famille, et cependant, la faible quotité de la consignation ne leur permet pas de grandes dépenses, et des vivres de leurs familles leur permettraient d'aider leurs épouses et enfants. Ceci se pratique partout. 3°/ Enfin, ils n'ont pour circuler qu'un modeste corridor : ils n'ont pas une cour... En vérité, on prendrait ici les dettiers pour des coupables [...] ».


lettre écrite au préfet du Loir-et-Cher en 183é suite à la visite de la prison de Blois
Lettre adressée au préfet du Loir-et-Cher par l'avocat J. Duplan en 1832 (source : Archives départementales du Loir-et-Cher, cote : 8 Y 3)

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La prison de Blois


Elle était installée dans la Tour Beauvoir, l'un des plus anciens édifices de la ville, bâti au XIème siècle.

L'administration de la Justice du comté et la prison y avaient été transférées lorsque Jean Ier, comte de Châtillon, héritier par sa mère, Marie d'Avesnes, des comtés de Blois et de Dunois, entreprit des travaux afin de construire un Palais de Justice.


Photo de la Tour Beauvoir à Blois
La Tour Beauvoir (photo : Sébastien Hosy)

Après la Révolution, la tour était devenue trop petite pour accueillir tous les condamnés, si bien que l'ancien couvent des Cordeliers lui fut annexé. Toutefois, la prison resta dans la Tour Beauvoir jusqu'en 1945.


La tour comportait plusieurs niveaux. Les salles des gardes se trouvaient en bas ; au-dessus étaient entreposés les greniers, dépôts de vivres et de grains. Au dernier étage siégeait la Salle supérieure du Conseil. Les prisonniers étaient quant à eux au premier niveau de la Tour, qui était, lors de sa construction, le seul accès à l'extérieur.

Une partie de la cour de la Tour Beauvoir
Gravure de la Tour Beauvoir à Blois
Gravure d'après le dessin d'Arthur Trouëssart extraite du numéro 3 de Blois, Passé et Présent, éditions de la société d'excursions artistiques de Loir-et-Cher, 1903. (source : Archives départementales du Loir-et-Cher, cote : 33 FI 253)

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