Cet article a pour objet les demandes en grace. Pour ce faire, je me suis appuyée sur les documents trouvés dans la série 8 Y 3, mais aussi ceux de la cote 3 U 22/2.
Par l'ordonnance du 6 février 1818, le Roi annonçait son intention d'accorder des remises et des réductions de peine aux condamnés qui se seraient fait remarquer par leur bonne conduite et par leur assiduité au travail.
A ce compte, les administrations pénitentiaires étaient chargées de réaliser chaque trimestre des observations à partir desquelles ils devraient, chaque année au mois de mars, dresser la liste des individus susceptibles de bénéficier de la clémence du Roi.
Les listes établies la première année furent...TRES complètes mais trop peu explicites. Ainsi, selon la circulaire n°61 du 16 août 1828, « beaucoup de listes comprenaient indistinctement des prisonniers qui étaient sur le point d'achever leur peine et des condamnés qui venaient de commencer la leur. Elles n'offraient guère d'autres détails que l'énonciation vague, et souvent inexacte, du crime plus ou moins grave qui avait motivé la condamnation, et l'allégation non moins vague que le prisonnier s'était bien conduit, sans aucun des renseignements qui aurait pu faire juger s'il n'y avait point de danger à le rendre à la liberté. Aussi la plupart des propositions étaient rejetées , et les Préfets se plaignaient tous les ans que cette sévérité, décourageante pour les détenus, contrariaient les efforts de l'administration pour établir ou maintenir dans les prisons une bonne discipline ».
Le 19 février 1820, de nouvelles instructions étaient données afin d'aider au remplissage raisonnable de ces listes afin que l'intérêt de l'ordre public soit respecté. Désormais, les colonnes des listes devraient respecter l'ordre et les intitulés suivants :
Numéro d'ordre,
désignation des prisons où les condamnés sont actuellement détenus,
villes où les prisons sont situées,
nom des détenus,
leur âge,
leur profession,
motifs de la condamnation,
Peines prononcées,
Dates des jugements,
Cours et tribunaux qui les ont rendus,
Avis et renseignements donnés par la commission des prisons,
Proposition du Préfet pour remise entière ou partielle du restant de la peine,
Une colonne à la fin du tableau restera en blanc.
Malheureusement pour les détenus, les listes n'étaient pas envoyées toujours dans les temps, si bien qu'elles étaient considérées comme non avenues.
Dix ans après la première circulaire, on constatait encore beaucoup de manquements quant aux sérieux de l'élaboration de ces listes, si bien que le 16 août 1828, un nouveau modèle de liste fut communiqué. Il précisait que ne devaient être portés sur la liste que les individus répondant aux critères suivants :
les condamnés à temps qui auront subi au moins la moitié de leur peine,
les condamnés à perpétuité qui auront subi dix ans au moins de leur peine,
les condamnés à perpétuité qui auront déjà obtenu une commutation de peine, après qu'ils auront subi au moins la moitié de la peine substituée.
L'occasion me semble belle de rappeler quelques définitions :
Tout d'abord, la notion de grace : elle est la dispense, par une autorité supérieure, de tout ou d'une partie de la peine d'un condamné. La grâce ne réforme pas la décision de justice, la condamnation existe toujours.
La commutation caractérise la substitution d’une peine inférieure à une peine supérieure.
L'amnistie est la suppression rétroactive du caractère délictueux des faits auxquels elle se rapporte.
Enfin, la réhabilitation est le rétablissement d’une personne dans ses droits.
Selon cette ordonnance, les décisions devaient être rendues le 25 août, jour de la Fête du Roi.
Les demandes en grâces pour l'année 1833 envoyées par les autorités pénitentiaires de la prison de Blois concernaient quatre détenus parmi les quatre-vingt que comptait la prison.
Le premier prisonnier, François Thomas PARVENAY avait été le curé-desservant de la paroisse de Neung-sur-Beuvron d'où il était natif. Il avait 42 ans et avait été condamné en 1828 à six ans de réclusion et à la flétrissure par la cour d'Assises de Loir-et-Cher pour « crime de faux en écriture privée ».
Son crime était d'avoir fabriqué un testament olographe contrefait et, en tant que faussaire, il avait été flétri de la lettre « F » sur l'épaule droite, marque qui fut apposée au fer rouge sur la place publique.
La flétrissure était une peine infamante qui consistait à marquer l'épaule du condamné au fer rouge. Jusqu'en 1724, la marque apposée représentait une fleur de lys. Ce n'est qu'ensuite que la flétrissure prit la forme de lettres qui qualifiaient le crime commis ou la peine infligée. Ainsi, la lettre « V » désignait un voleur, la lettre « M », un mendiant récidiviste, les lettres « GAL », un galérien. Abolie par le Code pénal de 1791, elle fut rétablie en 1801 dans le but de prévenir la récidive. Le code pénal napoléonien la fit appliquer systématiquement pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité (« TP ». ) Les condamnés aux autres peines ne la subissaient que si elle avait été attachée à leur peine, par la lettre « T » (travaux forcés à temps) ou « T » (faussaire). Cette peine fut définitivement abolie en France par la loi du 28 avril 1832.
François PARVENAY, écroué à la prison de Blois depuis le 18 novembre 1828, n'en était pas à sa première demande en grâce. Il avait déjà passé cinq années enfermé dans sa prison. Pendant sa détention, il avait le soutien de sa famille et était régulièrement visité par sa sœur. Sans doute avait-il aussi beaucoup prié...
Sa conduite était jugée irréprochable, si bien que la Commission des prisons et des directeurs, inspecteurs et aumôniers de la prison estimait que l'on pouvait abroger le temps qui lui restait à courir de sa peine, c'est-à-dire les un an, dix mois et vingt-huit jours restants. L'avis du Préfet était identique.
Le 25 août passa et aucune décision n'arriva. D'août à novembre, nous retrouvons plusieurs courriers plaidant la cause de l'infortuné curé. Les demandes en grâce, cette année-là, furent aussi relayées par l'avocat de cour de la ville de Paris qui avait visité la prison quelques mois auparavant (voir l'article « D comme conditions de Détention à la prison de Blois en 1832 », publié sur ce blog le 4 novembre 2023).
François Parvenay avait fini par sortir de sa prison, mais il fut soumis toute sa vie à la surveillance de la Haute police.
Le condamné soumis à la surveillance de la Haute police devait s'acquitter d'une caution, à défaut de laquelle il se voyait assigner à résider en un lieu choisi par les autorités. Cette peine était stigmatisante, car elle signalait le condamné à la population comme un ancien délinquant, empêchant ainsi toute réinsertion et le condamnant souvent à la mendicité ou au vagabondage pour pouvoir gagner sa vie. Certains, même, préféraient récidiver. En constatant ces effets négatifs induits par la peine, le cautionnement fut supprimé en 1832 et le condamné put choisir lui-même son lieu de résidence.
François était en résidence à Orléans en 1835, ville où il termina sa vie contraint par cette peine complémentaire. Il y mourut le 18 mars 1846.
Le second détenu masculin était âgé de 26 ans. André Marin BORDE, né à Saint Agil en 1807, avait été emprisonné pour avoir pris part à l'émeute de Mondoubleau le 11 juin 1832.
Avant d'être écroué, il était tisserand. Il s'était marié en 1828 à Boursay avec Marie DORSEMAINE, avec laquelle il avait eu deux enfants. Mais leur petite fille était décédée à l'âge de quinze jours.
« Dans les campagnes œuvrait le tisserand du village qui, après un apprentissage de quatre années, pouvait devenir propriétaire d’un métier à tisser pour lequel il payait une patente annuelle, et qui lui donnait le droit d’employer deux apprentis et deux tisserandes, le plus souvent membres de sa famille [...]. A la tête de son propre matériel, le tisserand avait alors le droit de travailler pour honorer les commandes des habitants du village. Il lui arrivait, en cas de grosse commande, de se déplacer avec son métier qu’il démontait et remontait, pour travailler sur place, au domicile du demandeur, à la confection du linge de toute la famille : nappes, draps, chemises et tissus divers pour les vêtements. Il était alors « en pension », le temps de fabriquer l’ensemble de la commande »
Est-ce pour cela que Marin BORDE se trouvait, le 11 juin 1832, à Mondoubleau, un village distant de plus de cent kilomètres du lieu de naissance de ses enfants (Choue, Loir-et-Cher) ?
Le métier de tisserand était difficile, et l’arrivée des métiers Jaquard au début du XIXème siècle compliqua encore la vie de ces artisans.
Nous avons retrouvé, dans l'Essai historique et statistique sur le canton et la ville de Mondoubleau de Pierre-Désiré Beauvais de Saint-Paul (1837) un passage expliquant ce qui s’était passé ce jour-là :
Marin BORDE faisait partie de ces protagonistes. Arrivé à la prison de Blois le 22 août 1832, il avait été condamné le 30 août 1832 par la cour d'assises du Loir-et-Cher à quatre ans d'emprisonnement.
A l'heure de sa demande en grâce, il lui restait à purger un an, six mois et sept jours de peine.
En prison, il se conduisit de façon exemplaire si bien que la commission des prisons, de même que le préfet, avaient soutenu la demande d'abrogation de sa peine. En 1833, Marin BORDE fut donc gracié par la clémence du roi.
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