La lettre de Georges a été écrite sur une carte-lettre le 4 juillet 1940 et adressée à sa femme et à son fils au centre des réfugiés de Blois.

Les premières cartes-lettres ordinaires ont été émises en France en 1886 ; elles ont été éditées jusqu'en 1941 (source : André Hurtré sur son « site des Entiers Postaux français »).

Paris 4 juillet 1940
Mon amour chérie et Riri
Je t'envoie ses quelques mots pour te dire que je suis en bone santé, et de ne pas t'inquiété à mon sujet, je suis soigné dans un hopital de Paris, pour ce que tu sais. j'espère que tu est en bonne santé ainssi que mon petit Riri. aussitôt que tu pourras envoie moi de tes nouvelles. je ne t'en marque pas plus long pour le moment.
je termine en t'embrassant de tout coeur
ton petit mari qui pense à toi.
signé : G. Apremont
Apremont Georges
Poste de secour
26 rue St Roch
Paris (1er arr.)
Notes :
Nous avons fait le choix de transcrire la lettre tel qu'elle est écrite.
Par ailleurs, pour des questions de compréhension autant que de respect pour les familles, nous avons indiqué en italique le prénom usuel, c'est-à-dire celui par lequel étaient couramment appelées les personnes. Dans la suite de l'article, seul le prénom usuel est employé.
L'expéditeur de ce courrier, Georges Eugène APREMONT est né à La Flèche (72) le 30 juillet 1910. Il est le troisième fils de Jean Baptiste Constant APREMONT et de Marie Louise DELAROCHE. La famille habite rue de la Boierie.
Alors que Georges n'a que sept ans et que la famille fête l'arrivée d'un heureux événement, la naissance de son frère Yves Alain, Marie Louise décède brutalement une semaine après l'accouchement. Elle n'a que 30 ans.
Constant ne se remarie que quatre ans plus tard, en 1921. Il est alors domicilié avec ses quatre fils au Mans, au n°37 rue Dorée. Il travaille comme ajusteur, c'est-à-dire qu'il usine des pièces mécaniques en vue de les parfaire pour un assemblage final, reconversion cohérente pour l'ancien serrurier qu'il était.
Dix ans plus tard, Constant travaille toujours comme ajusteur mais il a changé de patron. De ses garçons, seuls Louis et Yves habitent encore le foyer familial. Yves n'a que quatorze ans et son frère Louis travaille comme coiffeur chez un patron. Quant à Jean et Georges, ils ont quitté leur père depuis plusieurs années déjà.
En 1931, Georges est en apprentissage chez le coiffeur HUBERT, au Pré-en-Pail, une commune de Mayenne (53) ; il habite chez son patron dans la Grande rue du village qui loge également un second apprenti et une bonne.

L'année suivante, à 21 ans, il épouse Henriette Jeanne Louise NOURRY, une jeune femme native du Calvados (14).
Henriette est née au Molay-Littry le 19 août 1908. Henri, son père, tient une épicerie tandis que sa mère, Clémentine CHUDET, est ménagère. Henriette a un frère qui naît un an après elle mais il meurt à l'âge de quatre ans chez sa nourrice. Elle n'est cependant pas fille unique puisqu'elle a au moins une sœur et un frère plus âgés qu'elle, Suzanne et Jean.
C'est à Epernon, dans l'Eure (28), que Georges et Henriette se marient le 30 mars 1932. Après son apprentissage, Georges s'installe comme coiffeur. Le 31 juillet 1934 Henriette met au monde un garçon, que son mari déclare sous les prénoms de Henri Georges Constant APREMONT. C'est lui que son père appelle Riri dans sa lettre. La famille APREMONT habite alors à Asnières (92), avenue d'Argenteuil.
1939. La Guerre éclate. Depuis l'automne, des milliers de civils ont été évacués dans différents départements éloignés des frontières. Ces populations se mêlent aux Belges, aux Luxembourgeois et aux Hollandais qui ont déjà fui leur pays pour se réfugier en France. Le gouvernement a anticipé ces mouvements de population ; ils se font selon un plan d'évacuation minutieusement préparé depuis la seconde moitié des années 30. Pour les habitants d'Asnières, l'évacuation doit se faire vers le Loir-et-Cher (41).
Le 10 mai 1940, les Allemands passent à l'offensive en France. Comme tous les soldats valides, Georges est mobilisé depuis plusieurs mois. Devant l'avancée allemande, Henriette suit le mouvement des évacuations. Elle quitte son foyer avec son fils Henri, âgé de 6 ans. Voyagent-ils seuls ? Par quel moyen ont-ils pris la route ? Ont-ils bénéficié d'un transport en voiture ou en train ? Nous n'en savons rien.
Henriette s'est fait enregistrer à la Préfecture de Blois le 13 juin 1940 à 19h40 en compagnie de son fils Henri. Sur sa fiche d'admission, peu d'éléments ont été renseignés, si bien que nous n'en apprenons pas davantage.

En revanche, en exhumant les listes de noms inscrits pour chaque convoi d'évacuation, nous avons découvert qu'Henriette et son fils ont pris place le lendemain dans le 8ème car, à destination de Mennetou-sur-Cher, un village qui se trouve sur la ligne de démarcation. Le même jour, les Allemands rentrent triomphants dans Paris.

Je suis soigné (...) pour ce que tu sais...
La carte écrite par Georges date du 4 juillet 1940. Elle est adressée au centre des réfugiés de Blois, là où les réfugiés peuvent venir récupérer leur correspondance.
Dans sa lettre, il raconte qu'il est en bonne santé et soigné dans un hôpital. «Pour ce que tu sais », écrit-il à sa femme. Henriette a donc connaissance du diagnostic. L'a-t-elle appris dans un autre courrier ? Lors d'une dernière permission ? Ou bien encore, s'agit-il d'une maladie chronique ? Nous reviendrons plus tard sur cette dernière hypothèse.
Quoiqu'il en soit, les éléments figurant dans la lettre nous permettent de situer le lieu exact où Georges a été soigné. Il s'agit d'un poste de secours installé au n°26 rue Saint-Roch, dans le premier arrondissement de Paris. Le bâtiment abrite alors une école catholique réquisitionnée comme centre d'accueil pour les malades et les blessés. Mais Georges va bien et demande des nouvelles au plus tôt à son épouse.
Si ce message nous paraît bref, il ne fait aucun doute qu'Henriette aurait été soulagée de le recevoir, Henri aussi.
Une fin tragique
Les éléments retrouvés à partir de cette lettre sont peu nombreux. En revanche, une enquête généalogique nous a permis de retrouver quelques informations supplémentaires à propos de la famille.
En novembre 1940 apparaissait dans la liste n°32 de prisonniers français une ligne parmi des milliers d'autres :

Le nom de Jean-Baptiste APREMONT, le frère de Georges, était relevé parmi les prisonniers de guerre français. Soldat de 2ème classe au 271ème régiment d'infanterie, il avait été fait prisonnier et envoyé au Stalag II A Neubrandenburg, situé au nord de l'Allemagne à Fünfeichen dans le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.
Nous savons qu'il est revenu vivant et qu'il a poursuivi sa vie après la guerre.
En revanche, nous avons découvert de bien malheureux événements : Henri, le « petit Riri » de la lettre, a perdu ses deux parents pendant la guerre, l'année 1943. Sa mère Henriette est décédée à son domicile le 4 janvier. Quant à son père, il est mort à l'hospice de Limeil-Brévannes le 3 mars 1943... Nous évoquions plus haut la possibilité d'une maladie chronique. En effet, cet hospice pour vieillards s'était vu agrandir à la fin du XIXème siècle d'un quartier de malades chroniques et d'un sanatorium pour adultes tuberculeux en 1907 (en plus d'un hospice pour enfants convalescents en 1908). Georges n'avait que 32 ans lorsqu'il y est décédé. Il était donc vraisemblablement atteint d'une maladie chronique et il est raisonnable de penser, compte tenu du décès très rapproché de sa femme, qu'il s'agissait d'une maladie contagieuse comme la tuberculose.
De sa vie d'orphelin nous ne savons rien, mais nous savons qu'Henri s'est marié à l'âge de 24 ans. Il
est décédé vingt ans après son mariage. Nous avons retrouvé et contacté l'une de ses filles.
Notre projet se poursuit, et nous vous présenterons bientôt une autre lettre, une autre histoire.
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