Archive insolite : L'inconnu retrouvé mort d'un coup de fusil
- Claire Marti

- 14 nov.
- 3 min de lecture
Poursuivons sur le fil des archives insolites. On en trouve de toute sorte, que ce soit sous forme de lignes d'écriture, d'essais de signatures, de lettrines ou de dessins, ou encore de la description d'un événement qui sortait de l'ordinaire de la vie paroissiale.
Dans l'acte suivant, nous nous transportons dans la paroisse de Cuzion, dans l'Indre, à cinquante kilomètres au sud de Châteauroux, il y a tout juste 300 ans.

« Le quatorze novembre de l'année mil sept cent vingt cinq a esté inbumé par moy curé sousigné avec les cérémonies et prieres ordinaires au cimetierre de notre paroisse un homme a nous inconnu qu'on a trouvé mort proche le ruisseau de la descente du village de Cuzion le vieux, paroisse de Cuzion l'Eglise, apres avoir esté tiré dun coup de fusil, d'environ cinq pieds et trois pouces dauteur, gros et puissant de corps, la face large et barbue d'un poil tirant sur le roux comme aussi ses cheveux, frisez en queuë de vache, ayant un chapeau a demi rosé avec un cordon de ruban noir, habillé dune biaude de tuilé tirant sur le gris barré, dune culotte de serge blanche a demi usée en la poche de laquelle il s'est trouvé un petit chapelet d'os qu'on ma mis entre mes mains apres lavoir fait fouiller en ma presence, ce qui la fait reconnaitre pour chrétien catholique, des bas drapez bruns une chemise de toille rousse avec des boutons aux manches façon de tombac et des gaistres de droguet gris avec des boutons de la même étoffe prenant par dessous le soulier avec une attache. Lequel entermant a esté fait en presence de Jean Charpentier bourgois, d'André Routet maistre chirurgien, de Silvain Persenant journalier et Silvain Chauvin tixier en toille tous dudit bourg de Cuzion, les dits Persenant et Chauvin ont declarez ne savoir signer de ce par moy duement enquis ».
Signé : Auprince curé de Cuzion, Charpentier, Routet.
La description du malheureux était suffisamment détaillée pour qu'on le reconnaisse si l'homme n'avait pas été étranger à la paroisse. Les cheveux roux et frisés, l'homme portait une barbe et coiffait ses cheveux en queue de cheval (la fameuse « queue de vache »). Massif et de forte corpulence, il mesurait environ 1,60 m (5 pieds et 3 pouces) et portait un costume populaire breton.
La biaude (ou blaude) était une sorte de blouse, de travail ou d'apparat, en toile fine ou grossière, que les hommes portaient au-dessus de leurs vêtements. Elle était en usage chez les paysans, les marchands et les artisans. La qualité des étoffes et des boutons* retrouvés sur l'homme ainsi que l'usure de sa culotte témoignaient en outre de sa modeste condition. Il en allait de même pour le chapelet d'os.
On le reconnut pour chrétien, mais là s'arrêta son identification. En cette époque où les déplacements et les voyageurs étaient peu nombreux, un œil avisé aurait-il pu reconnaître l'origine de son costume ? Il portait un chapeau et non un bonnet, des souliers et non des sabots, une culotte, des bas, des guêtres... La connaissance que nous avons aujourd'hui de la diversité des costumes bretons de l'époque propres à chaque paroisse pourrait-elle nous en apprendre plus sur son origine exacte – à supposer que ces vêtements fussent bien les siens ?
Quoiqu'il en soit, la victime, assurément, fit l'objet d'une enquête diligentée par le châtelain de Chateaubrun avant que le curé fasse son office. En effet, le cadavre fut retrouvé à quelques centaines de mètres du château de Chateaubrun qui appartenait alors à la famille de Montmorency. On note d'ailleurs qu'un chirurgien avait été mandé, le sieur André Routet, présent à l'inhumation.
D'après les lectures de nombreux rapports d'enquêtes que nous avons pu faire, il n'était pas d'usage - du moins en Bretagne - de se servir des descriptions vestimentaires pour identifier l'origine d'un individu, ces caractéristiques se limitant à savoir si la victime était un soldat, un étranger, un noble ou un homme d'église.
L'homme fut donc inhumé sans qu'on ait pu l'identifier. Mais à cette époque, bon nombre d'individus mouraient anonymement.

Ci-dessus, une carte dite de Cassini, dessinée au XVIIIème siècle, permettant de situer plus ou moins l'endroit où fut découvert l'homme, le château de Chateaubrun, domaine de la famille de Montmorency, et les paroisses de Cuzion-le-Vieux et de Cuzion-l'église.
En-dessous, une vue de la forteresse de Chateaubrun qui domine la Creuse.

* tombac : Sorte de laiton, alliage de cuivre et de zinc, généralement de couleur jaune, employé notamment pour la fabrication de bijoux de pacotille.



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