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La lettre de Victor

Le 5 juillet 1940, Victor MILLÉCAMPS, maréchal des logis chef dans la 1ère légion de la gendarmerie écrit une lettre d'Angoulême où il est en poste depuis le 23 juin. Le courrier est adressé à M. Georges DECONNINCK, un ami de son beau-père, Henri Louis François MICHÉ, vitrier à Armentières (59). Victor le prie de lui donner des nouvelles de sa famille.



Victor Henri MILLÉCAMPS est né le 27 décembre 1900 dans un cité ouvrière près de la frontière belge, de Victor Joseph MILLÉCAMPS et de Louise Julie Joseph ROUSSEL. Enfant, habitant d'Armentières (59), il est confronté à l'occupation allemande et aux bombardements qui frappent incessamment la ville située à proximité du front.


A la sortie de la guerre, Victor a 18 ans, il est parti chercher du travail bien loin de chez lui, à Nonancourt, dans l'Eure. Il y exerce le métier de fileur. A vingt ans, il commence son service militaire dans l'infanterie où il est rapidement nommé caporal. En 1920, il revient à Armentières et, comme son père, il devient tisseur. L'année d'après, aux armées, il passe sergent et intègre le 25ème régiment de tirailleurs algériens. A la fin de son engagement, il signe pour deux années supplémentaires. En 1924, il entre à l'école de gendarmerie d'Alsace-Lorraine et, le 27 août, il intègre définitivement la première légion de gendarmerie où il passe finalement maréchal des logis, puis maréchal des logis chef.


C'est peu de temps après son intégration dans la gendarmerie que Victor épouse Carmen Louise MICHÉ. Carmen est née le 24 juin 1905 à Hénin-Beaumont (62) ; elle est la fille de Henri Louis François MICHÉ, vitrier et de Louise GRUYELLE, sa femme couturière.


Carmen et Victor se marient à La Chapelle-d'Armentières le 12 novembre 1924 et leur petite fille Michelle naît en 1926.


Victor MILLÉCAMPS, photo 1962 Carmen MICHÉ, photo 1967

(source familiale) (source familiale)



Armentières pendant la guerre

Au début des années 30, Victor est chef de brigade à la gendarmerie à Annezin (62) puis à Estaires (59). Lorsque la guerre éclate, la famille habite à Armentières (59).


Alain Fernagut, historien local, raconte : « Comme de nombreuses communes, Armentières s'était préparée à l'éventualité d'un conflit. En 1938, une sirène d'alerte avait été installée à l'hôtel de ville pour avertir la population de l'arrivée d'avions et de bombardements possibles. Une grande quantité de papier gris et de tentures avait été employée pour occulter les ouvertures des maisons afin qu'aucune lumière ne puisse filtrer. Une conférence, dite de défense passive, avait été donnée à la mairie, pour informer des consignes à appliquer en cas de bombardement : coupure de l'eau, du gaz et de l'électricité, fermeture des persiennes et des volets, et sacs de terre installés devant les soupiraux. En avril 1939, un arrêté instituait une commission municipale d'évacuation des personnes et du repliement du bétail, avec tableau de répartition des localités d'hébergement affectées aux civils ».

Le 5 septembre, la sirène retentit pour une première alerte aérienne pour un avion qui avait traversé la frontière. Ce fut suivi le lendemain par l'interdiction de faire sonner les cloches, les sirènes, les klaxons et les trompes. […] Pendant une durée de huit mois, ce fut la ''drôle de guerre''. [...]Pendant cette période, la vie dans la cité n'était pas très différente de ce qu'elle était avant septembre 1939. Le principal bouleversement fut la mobilisation générale, qui concernait 2 000 hommes environ. Fin août, un grand nombre d'hommes avaient dû rejoindre leurs régiments et la situation de l'industrie armentiéroise s'en ressentit [...] Puis, les Armentiérois furent invités à se rendre à la mairie pour se faire établir une carte nationale d'identité obligatoire et percevoir un masque à gaz.

Le 22 décembre 1939, les premiers contingents britanniques arrivèrent dans la cité. Ils y restèrent jusqu'à l'invasion ennemie ».


Le 10 mai 1940, les Allemands envahissent les Pays-Bas, le Luxembourg et la Belgique. Le lendemain, la municipalité d'Armentières décide de fermer toutes les écoles. La cité de la Toile sait ce qui l'attend si les Allemands arrivent à ses portes car elle a payé un lourd tribut lors de la première Guerre mondiale. Détruite à près de 80% par les bombardements, elle a été entièrement reconstruite. Aussi, la population est rapidement gagnée par la panique, notamment devant le flux de réfugiés qui traversent quotidiennement la ville (qu'on estime alors à 30 000 personnes par jour). Bloqués dans leur fuite par les voies de communication bombardées devenues hors d'usage, certains seront forcés de rebrouser chemin vers Armentières.


Victor est aux armées. Et devant l'arrivée imminente des Allemands, il devient urgent de fuir. Par chance, Henri, le père de Carmen, a un ami réfugié dans le Loir-et-Cher (41), département de refuge des habitants du Nord. Cet ami, Georges DECONNINCK, leur a trouvé une maison à louer dans les environs de Blois. Le 18 mai, Carmen ferme à clef son logement, sans savoir quand ni si elle pourra y revenir. Avec sa fille Michelle, âgée de 14 ans, elle se rend chez ses parents et, le lendemain, la famille prend le train de 11h15 à destination de Blois.


Malheureusement, ils n'ont pas pu donner l'adresse à Victor. Et depuis lors, il n'a plus eu de nouvelles. Au cours de l'été, lui-même a été envoyé en Angleterre, puis dans de nombreuses villes de France. Malgré les promesses de l'armée, les hommes attendent depuis longtemps un retour dans le Nord qui ne vient pas.


Le 24 mai 1940, la ville d'Armentières est sévèrement bombardée par les avions allemands. Plusieurs bombes tombent dans le secteur de la rue du Nord. 46 personnes sont tuées parmi lesquelles de nombreux réfugiés, belges pour la plupart. Une majorité de ces victimes a été surprise dans une file d'attente devant la boulangerie Vercruysse.


Pendant trois jours encore, les stukas vont lâcher des obus sur la ville. Au total, 177 personnes meurent sous les bombardements ou bien les jours suivants, des suites de leurs blessures. Ce sont aussi bien des locaux que des réfugiés, des adultes que des enfants. L'hôpital psychiatrique a été touché et on déplore des victimes parmi les patients et les soignants.


Le 28 mai, Victor se rend à Armentières pour constater les dégâts. Malgré le chaos qui règne il est rassuré : la maison de ses beaux-parents, rue de Comines, est intacte.


carte des bombardements sur Armentières de 1940 et 1944
Plan des destructions des bombardements de mai 1940 et juin 1944 (source : Archives d'Armentières, 1 Fi 39)

Le même jour, les Allemands entrent dans la ville tandis que soldats français et anglais se replient en faisant sauter les ponts.


Sans nouvelles...

Un mois s'est écoulé et Victor n'a toujours aucune nouvelle de sa famille. Le 23 juin, la première légion de gendarmerie est repliée à Angoulême. L'armistice a été signé la veille et, le 24 juin, l'armée allemande envahit la ville. Comme à Paris, les soldats de la Wehrmacht défilent dans les rues, victorieux, et accrochent à l'hôtel de ville un drapeau à la croix gammée. Ils réquisitionnent la plupart des monuments publics ainsi que les écoles.


Le 10 juillet 1940, toujours sans nouvelles, Victor, désespéré, ne sait plus comment avoir des nouvelles de sa femme et de sa fille. C'est alors qu'il poste la lettre à Georges DECONNINCK, en espérant qu'il passera récupérer sa correspondance au centre des réfugiés. Dans son courrier, il en profite pour le rassurer également : « Il n'y avait aucun dégât chez mes beaux-parents ni chez votre fille près de la gare. Il n'a pas dû se passer grand-chose par la suite, l'occupation s'étant faite peu après. »


Le lendemain, il écrit à l'administration du service des réfugiés de Blois afin d'obtenir de l'aide en vue de retrouver les membres de sa famille.


Lettre manuscrite du 11 juillet 1940
Source : Archives départementales de Blois, cote 587 W 32


Epilogue

Victor a fini par retrouver les siens. Mais où et quand, nous n'avons pas pu le déterminer. Nos recherches nous ont appris par ailleurs que la mère de Carmen est décédée pendant la guerre à son domicile d'Armentières (59) à l'âge de 67 ans, le 17 août 1943. Son époux lui a survécu et s'est éteint à l'âge de 80 ans, en 1961.


Quant à Michelle, elle s'est mariée, a eu deux filles et a fait sa vie au Canada où elle est décédée en 1986.



Nous avons retrouvé la petite-fille de Victor, Caroline, et questionné la famille. Elle n'a pas pu nous préciser quand ont eu lieu les retrouvailles de Victor et de Carmen mais elle nous a permis de compléter les informations retrouvées. Nous la remercions par ailleurs pour les photos de Victor et de Carmen qu'elle nous a très aimablement fourni.


Nous conclurons cet article sur la persistance d'une zone d'ombre sur le passé de Victor. Au cours de nos recherches, nous avons en effet découvert que Victor était membre des Forces Françaises de l'Intérieur (FFI). Sa famille nous a déclaré que son fils Pierre, né en 1949 et père de Caroline, n'a jamais évoqué ce sujet. Par conséquent, nous ne savons pas si les enfants de Victor ont été au courant de ses activités dans la Résistance.





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