Parmi les lettres retrouvées, il en existe certaines écrites par des enfants. Nous relatons ici, grâce à deux lettres trouvées dans une enveloppe adressée à Mme SPIQUEL, l'histoire de trois jeunes frères envoyés loin de la région parisienne à l'automne 1939.
En 1936, Charles SPIQUEL et son épouse Georgette ont six enfants. Ils habitent à Asnières-sur-Seine, dans la rue des Mourineaux et sont tous deux chiffonniers. Ils se sont mariés le 30 mai 1925, peu de temps après la naissance de leur premier fils, Jules en 1924. Cinq autres enfants vont naître dans la famille entre 1926 et 1934, parmi lesquels Alfred (1926), Georges (1928) et Paul (1929).
Né dans une famille modeste et n'étant pas instruit, Charles a exercé des petits métiers pour gagner sa croûte : maréchal-ferrant, camionneur ou encore cantonnier. Son père est mort juste avant la fin de la guerre, le 19 octobre 1918, à Puteaux. Il n'a alors que 18 ans. Six mois plus tard, il a devancé l'appel de quelques mois et s'est engagé pour quatre ans dans le 7ème régiment de dragons. Mais il a déserté au bout de six mois. Il réintègre un autre régiment de dragons l'année d'après mais son parcours militaire demeure chaotique, ponctué de périodes de désertion, voire d'emprisonnement (pour vol).
Lorsqu'elle épouse Charles, Georgette ROUBAUD a 19 ans. Elle est chiffonnière et habite dans la même rue, avec son père, veuf, un ouvrier maçon. Charles et elle tombent amoureux et se marient. Ils s'installent rue de Frayssinnet jusqu'en 1930 puis habitent la rue des Mourineaux qui restera le domicile familial. En 1931, la mère de Charles vient habiter chez eux. Son métier de matelassière, comme celui de son fils et de sa belle-fille, l'expose à la poussière et aux parasites, si bien que c'est dans la rue qu'elle l'exerce.
Les six enfants, cinq garçons et une fille, vont à l'école, rendue obligatoire depuis les lois Ferry (1881-1882).
Le 3 septembre 1939, après l'invasion de la Pologne par Hitler, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l'Allemagne. Le gouvernement, soucieux de ne pas renouveler les erreurs du passé, a établi entre 1918 et 1939 des plans de protection des civils en cas d'invasion, et notamment un plan d'éloignement des enfants de six à treize ans. Et c'est vers le Loir-et-Cher que les petits asniérois doivent être évacués.
C'est ainsi que Georges, Paul et Alfred SPIQUEL se sont retrouvés dans le petit village de La Ferté-Saint-Cyr. Leur grand frère Jules, 15 ans et leur petit frère Jean, 5 ans, n'étaient pas concernés par cette mesure, ils sont certainement restés avec leurs parents. Le château de la Ferté-Saint-Cyr n'accueillait que des groupes de garçons, si bien Georgette a dû être évacuée ailleurs, peut-être même dans une autre commune. Si les enfants SPIQUEL sont restés éloignés assez longtemps de chez eux, les autorités ont probablement fait en sorte de rapprocher leur sœur car le rassemblement familial était effectué dans la mesure du possible. Les circonstances étaient déjà bien difficiles pour ces enfants éloignés de leurs parents.
La date de leur évacuation nous est inconnue mais elle a certainement eu lieu dans les jours qui ont suivi la déclaration de guerre. L'article suivant, daté du 8 septembre 1939, témoigne du fait que plusieurs milliers d'enfants étaient déjà arrivés dans le Loir-et-Cher à cette date.

Georges, Paul et Alfred ont bénéficié de conditions d'accueil plutôt agréables. Ce sont leurs lettres qui nous l'apprennent. D'autres documents et lettres d'enfants nous ont permis de reconstituer globalement ces conditions.
L'accueil des enfants au château de la Ferté
A leur arrivée, les enfants recevaient pour la plupart une paire de souliers et une pélerine en drap imperméable, une couverture, trois paires de chaussettes, une chemise de nuit et un chandail. Ils étaient logés dans le château et dormaient dans de grands dortoirs chauffés et aménagés avec des lits individuels, recouverts de draps et de couvertures. Le matin, on les levait à 7h30 et l'on veillait à ce qu'ils fassent leur toilette. A 8h00, on leur servait le petit déjeuner dans un grand réfectoire, déjeuner constitué d'un bol de café au lait. Le repas du midi était bon et copieux : on leur servait de la viande quotidiennement avec des pommes de terre ou des haricots. Le souper était composé de nouilles ou de lentilles. Les repas étaient en outre agrémentés de miel ou de pommes en dessert. Le coucher se faisait à 20h00, après un débarbouillage à l'eau tiède devant un feu dans le grand réfectoire.
A l'heure où les enfants ont écrit ces lettres, le 4 novembre 1939, la commune n'avait pas encore reçu les livres et les cahiers nécessaires à une activité scolaire, si bien que la classe n'était pas encore commencée pour les enfants SPIQUEL
Le plus souvent possible, l'institutrice, Mme DUPARD, prenait des photos des enfants dans le parc pour les envoyer à leurs parents. C'était une femme bienveillante qui prenait le temps de rassurer les parents en rajoutant systématiquement un petit mot à leur adresse au bas des messages écrits par leurs enfants.

La lecture des courriers des enfants montre une trop grande ressemblance entre chaque pour être le produit de ces seuls enfants. Néanmoins, il semble évident que tous ceux qui furent accueillis au château étaient bien traités. La plupart prenaient du poids et y mangeaient plus à leur faim qu'au sein de leur famille, souvent pauvre. D'ailleurs, Mme DUPARD écrivait sur la lettre d'un autre enfant que « la nourriture [était] très bonne et abondante » (les maîtresses partageaient les mêmes repas que les enfants). « Ils s'amusent entre camarades et dorment bien. On les vêtit et on veille sur eux au quotidien et une infirmière passe régulièrement les voir ». Afin d'éviter les contagions, s'ils avaient des poux, on leur passait la tête au vinaigre.
Certains enfants ont vécu cet éloignement comme des vacances, et l'accueil agréable qu'ont reçu Georges et ses frères au château de la Ferté peut les avoir incité à penser de même. Il faut dire que compte tenu de la médiocrité de la situation de leurs parents, ils n'ont jamais connu les vacances.
Mais tous les enfants réfugiés n'étaient pas logés à la même enseigne. Un rapport de l'Inspection du 16 septembre 1939 dévoile une autre réalité pour certains enfants.

Devant l'inaction des armées allemandes, la plupart des enfants réfugiés sont rentrés chez eux très rapidement. D'ailleurs, en septembre 1939 circulaient déjà des courriers indiquant le nombre d'enfants encore présents dans le Loir-et-Cher. Nous ne savons pas, néanmoins, pendant combien de temps la fratrie SPIQUEL est restée éloignée de ses parents.
Le jeune Paul nous apprend dans sa lettre que lui et ses frères ont pu voir leur petit frère Jean peu de temps auparavant et qu'ils n'étaient pas totalement coupés de leur famille avec laquelle il correspondait au moins une fois par semaine.
Des inquiétudes pour leur mère
Si leur vie de réfugié était plutôt agréable à la Ferté, les trois garçons s'inquiétaient pour leur mère, malade. Le matin du 4 novembre, ils avaient reçu une lettre de leur tante Hélène qui se voulait rassurante : leur mère était rentrée à la maison. Sans doute après avoir été hospitalisée. On peut facilement imaginer que son métier de chiffonnière l'a exposée à des risques sanitaires, phénomène amplifié par une vie modeste et des privations.
Contrairement à ses frères, Alfred, pourtant le plus âgé des trois, s'est contenté d'écrire une seule ligne mais où l'on sent l'amour d'un fils pour sa mère : « Guéris bien vite ma(n)man. Un gros baiser ». Mais Georgette a-t-elle seulement eu le temps de guérir ? Est-elle de nouveau tombée malade ? Quoiqu'il en soit, elle s'est éteinte le 18 février 1940 vers une heure du matin en son domicile. Elle venait juste d'avoir 34 ans.
Huit ans plus tard, ces pauvres enfants ont perdu également leur père. Il avait atteint l'âge de 48 ans et est resté cantonnier de la ville d'Asnières jusqu'à son décès.
Tous les enfants de la famille ont survécu à la guerre, se sont mariés et ont eu des enfants.
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