Dans la mémoire collective des Sarthois, la catastrophe de Mamers a laissé sa trace. Mon grand-père, qui y est né en 1922, véhiculait lui aussi ce souvenir qu'il n'avait pourtant pas vécu.
A cette époque, Mamers était traversée par une petite rivière, la Dives, qui circulait entre les voies et bordait les maisons de la ville basse, au niveau de la rue des Tanneries et du quai du bouillon. La Dives était un court d'eau tranquille à faible débit. Elle mesurait deux mètres de largeur et était profonde de cinquante centimètres. Plusieurs ponts de pierre la surplombaient.
En ce mardi 7 juin 1904, la matinée avait commencé comme tant d'autres : les enfants étaient à l'école, Mr DESFEUX les avait largement devancés en ouvrant sa boulangerie aux premières heures du jour et Mr l'Abbé TELLIER professait ses leçons aux élèves du collège Saint-Paul.
Aux champs, les ouvriers agricoles s'affairaient ; les moissons s'annonçaient bien cette année. Et dans le village, on attendait déjà le prochain dimanche qui verrait s'affronter les jeunes gens dans les courses de Mamers.
Vers 13h30, le ciel s'était assombri. Il devint soudain noir et menaçant. En un rien de temps, il se mit à déverser des trombes d'eau qui firent courir se mettre à l'abri tous les gens qui étaient dehors. Bientôt se furent, en plus des bourrasques et des pluies torrentielles, des grêlons d'une taille impressionnante qui s'abattirent sur la ville (le Préfet HERSANT dira par la suite que plusieurs avaient la taille d'un gros œuf de poule). Pendant une heure, l'orage, la pluie ne cessèrent.
Soudain, un bruit effroyable retentit, venant du côté de Suré, et l'on vit avec terreur déferler une immense vague là où se trouvait normalement la Dives. Avec fureur, un torrent d'eau boueuse s'engouffra dans les maisons, emporta tout sur son passage. Les bâtiments cédèrent immédiatement devant la violence des flots. La pluie continuait à tomber avec une violence comme on en avait jamais vue.
Déjà on entendait par les fenêtres ouvertes les hurlements affolés des gens qui s'étaient réfugiés dans les étages et réclamaient du secours. Les habitants de la ville haute étaient accourus et avaient constaté avec consternation que l'eau, drainant des torrents de boues, avait littéralement englouti la ville basse. Le niveau de la Dives, augmenté par les eaux ruisselantes des collines alentours et du flot de la rivière Sarthe, avait atteint quatre mètres et s'élargissait sur toute la vallée. La montée des eaux avaient été tellement fulgurante qu'elle avait surpris bon nombre d'habitants, désormais piégés dans leur maison, réfugiés dans les hauteurs autant qu'ils le pouvaient.
Les soldats du 115ème, qui étaient en garnison dans la ville, furent tout de suite sur les lieux. Le lieutenant ANTOINE avait immédiatement mis ses troupes à la disposition du commissaire de police DELAVERGNE et l'on vit bientôt tous les soldats pénétrer dans les eaux boueuses et en sortir de nombreux malheureux.
Dans la grande rue, l'on s'était précipité pour sauver les enfants, prisonniers dans le pensionnat Saint-Joseph. Une centaine de fillettes s'étaient réfugiées dans les hauteurs du pensionnat et criaient dans l’affolement général. On les sortit par les fenêtres et toutes furent sauvées.
Tandis que les soldats s'affairaient à la façon militaire, on assembla à la hâte des planches et des troncs d'arbre afin d'en faire des radeaux.
Le rez-de-chaussée de l'asile de vieillards était déjà envahi par l'eau et trois personnes qui étaient couchées avaient péri noyées. L'une des garde-malades avait pu prévenir le préfet HERSANT par une lucarne qu'il n'y avait plus aucun accès praticable et que la seule voie pour faire évacuer les vieillards étaient les fenêtres du premier étage.
Le Préfet pris place à bord de l'un des radeaux, suivi par le Docteur BLONDEAU, le menuisier GESNELAY et le cimentier DEMATTEO. Ils avaient pris soin de prendre un peu de matériel et une échelle, et dirigèrent l'embarcation de fortune vers l'asile. Ils parvinrent, grâce à l'échelle, à évacuer un à un les vieillards réfugiés au premier étage et les ramenèrent en lieu sûr. Puis se fut le tour des sœurs de l'hospice qui, une fois sur l'embarcation se mirent à genou en prière. Spectacle incongru au milieu de la désolation.
Un vieillard de 84 ans avait eu la force de se sauver seul à la nage.
Au milieu du chaos, on entendait parfois un bruit assourdissant, celui d'une maison qui venait de céder sous la poussée des eaux.
Rajoutant à l'angoisse, le bruit courut que les gazomètres de l'usine à gaz étaient sur le point de sauter. Mais c'était sans compter sur l'abnégation du directeur de la Compagnie du gaz, Mr OGÉ, qui n'hésita pas à s'engouffrer dans l'eau jusqu'au niveau de la vanne et à plonger pour pouvoir la fermer.
Face aux élément déchaînés, la solidarité fut incroyable, les preuves de courage nombreuses. Les habitants œuvraient main dans la main avec les militaires pour sauver leurs concitoyens.
Il n'y a qu'à regarder les publications au Journal officiel à la date du 29 octobre 1904 pour se rendre compte de l'élan de solidarité et du courage des habitants de Mamers.
Dans les jours qui suivirent le drame, la presse relata plusieurs de ces actes héroïques, comme l'histoire de Sœur ANASTASIE qui fit preuve d'un grand sang-froid en voulant sauver trois femmes en danger qui étaient occupées à laver. Elle n'hésita pas à enfourcher un muret pour les rejoindre, à califourchon sur le faîte du mur le long duquel les eaux commençaient à grimper. Le Capitaine DEROMME l'aperçut et, avec l'aide de son ordonnance, le soldat LE HOUX, vint au secours des malheureuses.
On rapporte également que « quatre hommes, le caporal DERIF et trois soldats du 115e, PAQUET, COMOCHE et BERARD enlevèrent de terre deux immenses mâts qui avaient été élevés dans le jardin du collège Saint Paul à l’occasion d’une fête. A force de bras ils apportèrent ces deux mâts sur la rive, les inclinèrent dans la direction du moulin de telle façon que l’une des extrémités s’appuyât sur le rebord d’une des fenêtres, l’autre restant fixée à terre. Sans s’inquiéter même de savoir si cette passerelle n’allait pas céder au premier heurt, à la force des poignets, ils franchirent le vide, au-dessus du torrent, prenant à bras le corps un homme, une femme et les ramenant sains et saufs au pensionnat Saint Joseph.
Le plancher du rez-de-chaussée, soulevé tout d’une pièce était collé au plafond. Le Commissaire de Police DELAVERGNE, aidé du cantinier du 115e, le soldat DELAROCHE, et du lieutenant de réserve LOYSSET entrèrent dans l’eau. S’aidant de matériaux de toutes sortes, ils parvinrent aux fenêtres du premier étage et, un à un, sauvèrent les enfants.
Dans une prairie voisine des abattoirs, un homme qui put échapper par miracle à l’effondrement d’une maison sous les décombres de laquelle quatre personnes venaient de trouver la mort, était réfugié au sommet d’un arbre.. L’Abbé TEYSSIER, se défaisant de sa soutane, se faisant attacher une corde aux reins, se mit à la nage. Un remous, un instant, l’engloutit. Sous le choc la corde se rompit. Le Lieutenant ANTOINE s’élança. L’abbé réapparut à la surface de l’eau et, tous deux, prêtre et soldat, réussirent, avec l’aide d’un troisième sauveteur, nommé CHAUDEMANCHE, à saisir l’homme an danger » (extrait de histoire-généalogie.com / La catastrophe de Mamers – 7 juin 1904, par René Albert).
Le soir tombait, tout le monde s'était réfugié à la ville haute, soulagé d'avoir pu tirer tous les malheureux de leur terrible situation. Mais l'on s'aperçut alors que certains manquaient à l'appel. Alors les soldats et le commissaire DELAVERGNE repartirent à leur recherche munis de torches. Vers vingt-deux heures, ils ramenèrent cinq corps que l'on déposa à l'hôtel de ville. A cinq heures du matin, douze autres cadavres avaient été découverts.
Le lendemain, on pouvait lire dans la presse que « jamais de mémoire d'homme un orage n'avait causé en France pareil cataclysme, entraîné de tels désastres. En vérité, c'est plus épouvantable encore que les premières dépêches d'hier ne l'avaient laissé entrevoir. Le cyclone a passé, terrible, sur ce coin paisible du Perche et il ne reste plus rien, rien que des désespoirs et des douleurs. Toute la ville basse de Mamers est entièrement détruite ; toute une population est sans abri. Dix-sept victimes ont péri de la plus effroyable mort. » (Le Matin, article du 9 juin1904).
Bouleversé par ce à quoi il avait assisté, le même journaliste avait souhaité publier le témoignage poignant de Mme LEVEAU, une jeune femme qui habitait une maisonnette en bordure de la Dives.
Mais ses mots décrivant la scène le lendemain sont pour moi plus poignants encore :
Un très grand nombre d'habitations furent détruites, de nombreux ménages se retrouvèrent sans abri. Plusieurs bâtiments publics furent dévastés ou partiellement détruits : l'usine à Gaz, le moulin de la ville, les abattoirs, le presbytère, le collège, l'hospice civil et militaire et l'asile. L'église Saint-Joseph avait subi de grosses avaries, celle de Notre-Dame était inondée.
Il y eut par ailleurs d'innombrables victimes parmi les animaux.
Mamers ne fut pas la seule commune touchée par le cataclysme. Au village voisin de Suré, dans l'Orne, on déplora quatre autres victimes.
Parmi les morts de Mamers, quatre personnes avaient été retrouvées ensevelies sous les décombres d’une maison qu’elles n’avaient pas osé quitter.
Le 9 juin, les cadavres furent exposés dans une salle de la mairie. Quatorze des corps étaient présents, côte à côte, couchés sur de la paille. Les familles de trois des victimes avaient demandé que les corps leur soient rendus.
Les personnes qui perdirent la vie ce jour-là étaient :
Madame RICHARD, rentière, Madame AUBRY, journalière, Madame veuve FOUQUET, journalière, Monsieur DUBOIS-SILLE, journalier, Madame REGNIER, journalière, Mademoiselle LOCHET, Madame CONTREL née FARCY, une jeune femme qui s'était noyée en compagnie de son beau-frère, Maurice CONTREL et de son père, René FARCY, le cantonnier BARBIER, une jeune mère, Madame PICHON et son enfant qu’elle tenait dans ses bras lorsqu’on découvrit leurs cadavres, et enfin Madame veuve PHILIBIEN et Monsieur DESHAYES, jardinier.
Les trois vieillards hospitalisés étaient Monsieur PETRONY, la veuve LEMAINE et la veuve AUGAN.
Il existe, au cimetière, un monument à la mémoire des victimes de la catastrophe de Mamers.
Comments