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Poursuivons avec la lettre B comme...

Dernière mise à jour : 6 nov. 2023


Ainsi en était-il d'Auguste et de Louis BRARD, deux frères nés au sein d'une famille de cultivateurs de Teillé, dans la Sarthe, à la fin du XIXème siècle. Il s'agit de la même famille que notre énigmatique Angèle (voir l'article « A comme Angèle »).


Leur parents, François Pierre BRARD et Joséphine Léontine GASCHE s'étaient mariés le 19 mars 1872 à Nouans, un village situé à mi-chemin entre leurs deux communes respectives, Ballon (aujourd'hui Ballon-Saint-Mars) et René. François était alors cultivateur et Léontine aide de culture.


Le couple, installé dans une ferme isolée au milieu des terres au hameau du Sablon, à Ballon, accueillait leur premier fils, François Léon moins d'un an plus tard. S'ensuivirent les naissances de deux filles, Léontine Joséphine (1874) et Louise Marie (1876).


Entre 1876 et 1878, la famille s'installa à La Chapelle-Saint-Rémy, à une vingtaine de kilomètres au sud-est. En 1881, la ferme d'Orgères employait deux domestiques, une jeune fille de 19 ans et un homme de 65 ans. C'est là que naquirent Delphine Esther (1878), Albert Léon (1880) et Augustine Marie (1882).


Mais c'est de retour à Ballon, sur les terres de son père décédé en 1882, que François vit naître son fils Auguste Alphonse le 27 octobre 1886. François et Léontine y étaient domiciliés avec six de leurs enfants ainsi qu'avec Louis Gasche, le père de Léontine, âgé de 73 ans.


En 1883, ce n'est pas François, pourtant l'aîné de la famille qui avait hérité mais son frère Eléonore Jules, ferblantier à Ballon. Ce dernier allait plus tard prospérer dans la quincaillerie avec ses fils.


En 1888, Eléonore et François vendirent un bien en indivision et c'est sans doute à la suite de cela que François partit s'établir définitivement à Teillé. Leur mère, rentière, vivait seule à Ballon depuis la mort de son époux.


François et son épouse ne restèrent pas longtemps à Ballon puisqu'on les retrouve trois ans plus tard à Teillé où ils s'installèrent définitivement. Leurs trois derniers enfants y virent le jour au hameau de la Fichardière. Parmi eux, deux fils, Louis Camille (1889) et Armand Eugène (1895), et la plus jeune des filles, Angèle Armandine (1891).


Désormais, la ferme de la Fichardière vit partir petit à petit les fils et les filles en âge de travailler. Léontine, d'abord, quitta non seulement le foyer mais aussi le village et alla chercher une place de domestique de ferme à Ballon. François était quant à lui déjà installé comme boulanger au Mans à l'âge de 20 ans et fut exempté du service en tant qu'aîné de neuf enfants.


Puis se fut au tour de Delphine, puis de Louise et d'Albert, si bien que tous trouvèrent une place d'aide de culture dans les fermes des villages alentours. Sans doute se sont-ils présentés à la louée comme c'était l'habitude pour trouver une place. Delphine ne fut pas la seule à rester à Teillé car bientôt Marie et Alphonse furent en âge de devenir eux aussi ouvriers agricoles. En revanche, l'un comme l'autre restèrent dans la ferme familiale et devinrent les soutiens de leurs parents. Louise, qui était partie plus tardivement, après 20 ans, revint elle aussi à la Fichardière au début du siècle.


En 1899 fut célébré un premier mariage, celui de l'aîné, François, alors âgé de 26 ans. Ce dernier s'était installé dans une commune de l'Eure-et-Loire, à Senonches, l'année d'avant. Il y avait rencontré la fille d'un tuilier, sa future épouse, Marie Émélie CUSSON. Mais compte-tenu de l’éloignement, seul son père fit le déplacement.


Le mariage de Delphine, restée à Teillé, offrit cette fois aux famille BRARD et MAZURE l'opportunité de tous se réunir pour célébrer l'événement, car François avait fait le déplacement lui aussi. L'époux de Delphine, Almire Maurille Marie MAZURE était employé aux chemins de fer et domicilié à Versailles. C'est là, en 1902, que Delphine donna naissance à un enfant mort-né. Cette première tragédie ne tarda pas à être suivie par une autre terrible nouvelle pour la famille : Delphine allait décéder le 20 février 1903, à l'âge de 24 ans. Almire épouserait une autre femme en 1906 à Versailles mais c'est à Teillé qu'il mourait en 1909.


Entre-temps, Albert lui aussi s'était marié, en 1905 à Teillé. Et si Léontine, l'aînée, était restée célibataire, ses deux sœurs, Louise et Marie connurent des unions plus heureuses que celles de Delphine. Marie épousa Hippolyte FOUCAULT un cultivateur de deux ans son aîné avec lequel elle s'installa à Maresché et eut plusieurs enfants. Et, peut-être parce qu'elle avait dépassé les trente ans et ne voulait pas rester vieille fille comme sa sœur, Louise épousa un homme bien plus vieux qu'elle, Jules Augustin SANTERRE. Ce dernier était âgé de 53 ans, veuf d'une première femme. Il avait cependant l'avantage d'être propriétaire. C'était en mai 1908. Sans doute un été placé sous de bons auspices pour Louise.


Mais l'été qui suivit fut l'occasion d'un nouvel événement tragique. François, père, alors âgé de 63 ans, mourut à Teillé.


Ternie par ces deuils, la vie poursuivit cependant son cours pour la veuve BRARD et sa famille, se consolant par les naissances successives des jeunes couples. Léontine était restée à La Fichardière. En 1911, elle avait encore avec elle son fils Armand de 15 ans, et Angèle, dont j'ai abondamment parlé dans le précédent article.

Auguste aussi vivait et travaillait à Teillé ; il logeait chez son patron, Michel BEAUCLAIR, cultivateur à la Tasserie. Et, à seulement quelques kilomètres, Léontine et Louise tenaient leur foyer à Ballon.


Le 5 novembre 1911, on célébra l'union d'Auguste et de Juliette Pascaline Victorine FAUVEAU, elle aussi aide de culture à Teillé. Ce mariage faisait suite à une première naissance hors mariage.


Enfin, en 1913, les deux plus jeunes, Angèle et Louis, trouvèrent eux aussi à s'unir. Ne restait plus qu'Armand, tout juste âgé de dix-sept ans, et Léontine, toujours vieille fille. Elle avait alors pratiquement quarante ans et avait dû autrefois collectionner les coiffes de Sainte-Catherine !


Ainsi allait la vie pour les travailleurs de la terre. Une vie simple, remplie de petits plaisirs grignotés sur la rudesse du travail dans les champs. Le lien familial et le tissu social étaient primordiaux. Et l'on profitait de toute occasion pour faire la fête. Cela rendait le quotidien plus facile.


Et c'est sans doute loin des troubles politiques que vivait la famille BRARD dans un quotidien empli de tâches agricoles et domestiques.



Pourtant, le 28 juin 1914, l’assassinat de l'archiduc François-Ferdinand de Habsbourg, héritier de l’empire Austro-hongrois allait précipiter une crise dans toute l'Europe. Nous étions au seuil de la Première Guerre mondiale.


Affiche de l'ordre de mobilisation générale
Affiche de l'ordre de mobilisation générale du 2 août 1914

Le 1er août 1914, la France décréta la mobilisation générale pour le lendemain. Son organisation avait été soigneusement planifiée depuis longtemps : des affiches avaient été imprimées d’avance ; elles étaient envoyées dans toutes les communes dans une enveloppe porteuse d’instructions précises et placardées dans chaque commune par les gendarmes au son du tocsin. L'affectation de chaque homme avait déjà été prévue en fonction de son âge et de sa résidence, si bien qu'en dix-sept jours seulement, entre le 2 et le 18 août 1914, la France avait fait équiper, armer et transporter dans tous les territoires français plus de trois millions de soldats.


Le 3 août, la France était en guerre contre l’Allemagne.


Cette fois, tous les jeunes gens étaient appelés, y compris ceux qui avaient autrefois été exemptés pour diverses raisons. La France avait besoin de mobiliser un maximum de troupes.


François, l'aîné, obtint cependant un sursis d'appel en tant que boulanger résidant dans le département de la Seine. En effet, le 2 août 1914, le gouverneur militaire de Paris avait décidé d’accorder un sursis d’appel de 45 jours aux patrons et ouvriers boulangers de l’armée territoriale et de sa réserve par peur que les habitants de Paris ne manquent de pain.

Affiche de 1914 concernant les patrons et ouvriers boulangers de la Seine
Avis aux hommes de l'armée territoriale et réserve de l'armée territoriale : Mise en sursis d'appel des patrons et ouvriers boulangers. L'Argonnaute - Bibliothèque numérique de La contemporaine

Tous les hommes n'étaient pas mobilisés en même temps car il aurait été impossible d'organiser une telle logistique. Dans la famille BRARD, Alphonse et Louis firent partie des premiers appelés puisqu'ils rejoignirent leurs corps respectifs dès le 3 août 1914. Alphonse était le seul parmi ses frères à être chasseur à pied ; il servait au 26ème bataillon. Il aura à peine eut le temps de connaître son dernier fils, Marcel, né le 11 juin.


Neuf jours plus tard, Albert reçut lui aussi son ordre de départ. Lui était dans le 117ème d'infanterie.


Comme toutes les femmes à l'époque, Léontine et ses filles durent laisser partir leurs fils et leur mari soldats. Elles n'avaient pas le choix. Pas le choix, non plus, que d'assumer désormais seules toutes les tâches quotidiennes, les moissons à venir, et de supporter l'angoisse générée par la situation...


Et quel était l'état d'esprit du jeune Armand à cette époque-là ? Etait-il un peu envieux de ses frères qui partaient tous combattre l'ennemi ? Etait-il soulagé d'être trop jeune pour être appelé ? Il restait le seul soutien de sa mère et de sa sœur, le seul homme de la ferme. Il avait 17 ans. Sa fiche matricule nous apprendra qu'il était peu instruit.


La suite des événements fut une tragédie pour la famille toute entière.


Le 24 septembre 1914, Albert était fait prisonnier à Etalon, dans la Somme.


Seulement huit jours plus tard, Louis fut tué sur le champ de bataille à Guerbigny, dans la Somme lui aussi. C'était le 2 octobre 1914. Il n'avait que 25 ans et s'était marié l'année d'avant.


Albert fut interné dans le camp de Cassel, dans le centre ouest de l'Allemagne, et il y resterait jusqu'à la fin de la guerre.

Plan du camp de Cassel en Allemagne
Plan du camp de Cassel (source : Le Globe, Revue genevoise de géographie, tome 58 (1919)) – information trouvée sur le site « Histoire de Poilus »

Quelles nouvelles a reçu la famille ? Quand a-t-elle été au courant ? Pour lui ? Pour la mort de Louis ? Elle n'a pas dû apprendre l’horrible nouvelle tout de suite.

Et pour Albert, était-ce un soulagement, si maigre soit-il, que d'apprendre qu'il était prisonnier et non mort sur un champ de bataille ? Les nouvelles du camp ont dû leur parvenir par les lettres qu'envoyait Albert. En 1915, une épidémie de typhus y a fait des ravages.


Début novembre, ce fut Angèle qui reçut des nouvelles de son époux Alphonse GOUTTIERE, évacué des combats car il avait été blessé au bras gauche.


Entre-temps, Armand, le plus jeune fils, s'était fait peintre. Il fut à son tour mobilisé dès le 15 décembre 1914 car les conflits étaient si meurtriers que l’armée avait décidé de mobiliser les classes par anticipation dès 1914. La classe 1915 fut ainsi appelée avec onze mois d'avance. Armand n'avait donc que 19 ans.


Triste Noël que celui de 1914 ! De tous les fils BRARD, il ne restait que François qui ne fut pas parti au front car il obtint des sursis d'appel jusqu'à la fin de la guerre.


L'année 1915 passa. Alphonse GOUTTIERE fut de nouveau blessé le 2 octobre 1915 au Bois de la Raquette en Champagne. De nouveau son bras gauche.


Fin février 1916, ce fut au tour d'Alphonse d'être évacué des zones de combat à cause d'une « bronchite avec points congestifs contractée au cours des opérations de guerre ». Il rentra au dépôt le 24 avril 1916 et ne retrouva son bataillon que trois mois plus tard.


Armand, soldat au 31ème régiment d'infanterie, tomba lui aussi malade et fut évacué le 6 juin. Il repartit en renfort le 23 octobre.


Alphonse était quant à lui reparti sur le front le 19 juillet. Le 26ème était stationné devant Soissons, dans un secteur calme, et se reposait. Il y resta jusqu'au 10 août. Après une période d'instruction dans la région de Fismes (51), le bataillon se dirigea vers la Somme.


Une petite note dans le journal des marches du bataillon mentionne : « le taux de la ration journalière de vin est porté de 0,375l à 0,50l par homme ». En dehors de quelques remarques semblables et qui sortent de l'ordinaire des commentaires militaires, on imagine mal le quotidien des hommes qui piétinaient jour et nuit dans la boue. En fait, on ne peut sans doute pas même le concevoir si on ne l'a pas vécu. Seules quelques annotations nous renseignent : on apprend par exemple que le 17 septembre les permissions furent suspendues. Elles ne furent rétablies que le 13 octobre à raison de 13%. Coup dur pour les soldats... Et elles furent de nouveau supprimées le 22.


Depuis combien de temps Auguste n'était-il pas rentré dans ses foyers, depuis combien de semaines, de mois, n'avait-il pas embrassé sa femme et ses enfants, sa mère et ses sœurs ?

Depuis quand n'avait-il plus connu la sérénité ?


Le 24 octobre, le 26ème bataillon stationné au camp était cité à l'ordre de la Brigade: « Devant attaquer des tranchées insuffisamment détruites sous le feu de mitrailleuses intactes, est sorti des tranchées avec un bel entrain et a donné un bel exemple de vigueur et de dévouement sous la conduite de son chef, le commandant Guizard ».


Le 30, il allait relever le 25ème bataillon de chasseurs à l'est de Bouchavesnes, tenue par les Allemands depuis le début de la guerre.


En ces jours de début novembre, il faisait mauvais temps. Plusieurs hommes avaient déjà été évacués pour cause de maladie ou de pieds gelés. Plusieurs furent tués et blessés au cours de la journée du 5. C'est ce jour-là, le 5 novembre 1916, qu'Alphonse fut tué au combat, aux tranchées du Bois Saint-Pierre-Vaast, tout juste cinq ans, jour pour jour, après la date de son mariage.


Pour son courage, il fut cité en 1919, à titre posthume, comme un « chasseur qui s'est toujours distingué dans tous les combats auxquels il a pris part. Est tombé mortellement frappé le 5 novembre 1916 à Bouchavesnes ». On lui décerna la Croix de guerre avec palme (étoile de bronze).


Son jeune frère Armand survécut quant à lui à la guerre. Et lui aussi fut cité pour preuve de courage et décoré de la croix de guerre.

Extrait de la fiche matricule d'Armand Eugène BRARD (source : Archives départementales du Loir-et-Cher)

« Cité à l'ordre du 31è Régiment d'Infanterie n°726 du 9 juin 1917. « Blessé au cours de la campagne. A fait preuve dans tous les combats auxquels il a pris part d'un calme et d'un mépris du danger exceptionnels (Vauquois 1915, Somme 1916) ».

Croix de Guerre Étoile de bronze.


Albert, enfin, dut attendre l’Armistice pour être libéré, mais il ne fut rapatrié que le 27 décembre 1918.


En tant que veuves de soldats tués sur le champ de bataille, les épouses de Louis et d'Auguste touchèrent une pension et leurs enfants furent adoptés comme pupilles de la Nation à partir de 1920. C'est-à-dire qu'il leur fut alloué une allocation mensuelle sous la forme de bourses pour leur apprentissage ou leurs études. De même, les visites médicales annuelles et les frais éventuels qu'elles pouvaient engendrer furent pris en charge par l’État.


Les noms de Louis et d'Auguste figurent sur les monuments aux morts de Teillé et de Maresché.


Monument aux morts de Teillé (@ Lavoirs en Sarthe) et plaque commémorative

Monument aux morts de Maresché (@ Loïc Prémartin 2013)




Ci-dessous : plaque commémorative dans la nef de l'église de Maresché

Malgré leur jeune âge, malgré l'absurdité de la guerre, Auguste et Louis BRARD n'ont pas hésité à se porter au-devant des combats. Ils sont morts pour la France, bravement.


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